Direction Charquemont pour une immersion en Franche-Comté au début du 20ème siècle. Le savoir-faire horloger est en plein essor et de nombreux ateliers et manufactures voient le jour. A Besançon, Morteau, Les Gras, Maîche ou encore Saint-Hippolyte, ces villes et villages du Doubs rassemblent la quasi totalité de la fabrication horlogère française. Leurs montres sont exportées partout dans le monde ! Ce succès tient notamment à une parfaite maîtrise de la fabrication des composants horlogers. Parmi ces fabricants il y a ce couple : Marie et Constant Fallet. Tic tac tic tac… Je vous propose de découvrir leur histoire, leur famille et leur parcours de vie rythmé par l’horlogerie.
L’horlogerie en Franche-Comté
D’abord, une introduction à ce joli savoir-faire et cette magnifique région ! C’est au milieu du 18ème siècle que l’horlogerie arrive dans le Haut Doubs (qui est aussi appelé le Pays Horloger). Les paysans cultivent leurs terres pendant les belles saisons et commencent à fabriquer des composants horlogers pendant la saison hivernale (il peut faire jusqu’à -35 °C en hiver dans la région !). Ils y travaillent souvent en famille et fabriquent ainsi des pièces d’horlogerie. Ils les déposent dans les « comptoirs« , ces lieux qui regroupent l’ensemble des composants, en échange d’une rémunération. Les pièces partent ensuite dans les usines ou fabriques de montres en Suisse ou en France.
Au fil du temps les paysans deviennent des paysans-horlogers puis des horlogers car certains y consacrent l’ensemble de leur temps et de leur activité. Je pourrais développer beaucoup plus longuement sur l’histoire horlogère dans la région mais de nombreux historiens l’ont déjà très bien fait ! Pour une présentation globale je vous propose de vous rendre sur Mémoire Vive. Mais maintenant entrons dans le vif du sujet et partons à la découverte de notre couple horloger et de son village…
Le village de Charquemont
Charquemont véritable capitale horlogère ! Le village compte 692 habitants en 1821 et 1930 en 1866, soit plus double. Cette expansion vient de la success-story horlogère. Charquemont au début du 19ème siècle c’est The place to be ! En 1886 près de 750 personnes vivent de l’horlogerie. On y fabrique des échappements, ces pièces qui donnent le tempo dans une montre. C’est à dire le battement, le tic-tac. Et c’est une véritable réussite car Charquemont et le Haut-Doubs détiennent quasiment le monopole dans la création de cette pièce entre 1850 et 1950. Et chez Marie et Constant Fallet on fabrique une pièce très précise qui s’appelle le balancier-spiral. Je vous en parle un peu plus tard… Mais maintenant que vous êtes un ou une pro de l’horlogerie partons enfin à la découverte de Marie et Constant.
La naissance d’une horlogère
Marie Madeleine Grillot née en plein été le 8 juillet 1894 dans un hameau de Charquemont qui s’appelle « La Fin » (c’est vraiment la fin d’une route). Son papa Emile Numa Grillot fait partie de ces cultivateurs qui sont devenus horlogers tout comme sa maman, Judith Alvina Bouhélier. C’est la cadette de la famille. Marie est déjà entourée de six sœurs, toutes horlogères et dont l’aînée à déjà 19 ans. Elle a un frère, né juste avant elle en 1891, Julien Emile Athalin Grillot. Durant son enfance elle perd deux sœurs. Lucine Marie Victorine Grillot puis Jeanne Marie Adèle Grillot.
En 1911 Marie apparait dans le recensement de Charquemont. A 17 ans elle travaille déjà comme horlogère. A cette époque la formation à l’horlogerie se fait très tôt. Les enfants aident souvent les parents durant les soirées ou après l’école. Marie fabrique des ébauches et des échappements. Les ébauches correspondent à la finition, à l’ensemble des pièces d’horlogeries assemblées. Et pour les échappements vous connaissez déjà ! Son employeur en 1911 est la famille Frésard. La plus grande dynastie horlogère de Charquemont à cette période ! Aster Frésard construit une usine d’horlogerie vers 1903 qu’il fait grandir et dont les enfants prennent la suite avec plusieurs sociétés. En 1911. Marie était donc au cœur de ces mouvements et on peut facilement imaginer qu’elle suit ces évolutions de près.
Une rencontre entre deux horlogers
Chez Frésard ou ailleurs, Marie fait la rencontre d’un horloger suisse. Il s’agit de Constant Fallet. Constant est originaire de Welschenrohr dans le canton de Soleure en Suisse. C’est à vol d’oiseau entre Bâle et Berne. Ils se marient à Charquemont le 6 septembre 1912. Avec quatre témoins et qui plus est… Quatre horlogers ! Sont de la partie Justin Etevenard (qui sera aussi le témoin du mariage de son frère), Ernest Grosvernier originaire de Porrentruy (Jura Suisse), Maurice Caille (témoin de plusieurs évènements familiaux chez les Grillot) et Auguste Claude.
De cet union naissent trois enfants :
- Constant Léon Emile Fallet le 12 juillet 1913 futur polisseur sur métaux et représentant de commerce ;
- Fernand Georges Fallet le 8 janvier 1915 qui devient horloger-mécanicien reconnu pour son savoir-faire à Charquemont ;
- André Fallet le 2 juin 1920, ouvrier d’usine puis représentant de commerce.
Des enfants qui grandissent et une entreprise familiale qui va naître.
A noter que plusieurs coups durs se produisent en 1913 pour Marie Grillot. Elle perd sa sœur Marie Madeleine Anna Grillot, âgée de 38 ans et son père, l’horloger Emile Numa Grillot.
La Fabrique d’horlogerie Fallet
Avant sa rencontre avec Marie Grillot, Constant Fallet ouvre une usine d’horlogerie rue de la gare à Charquemont. Il fait travailler 6 personnes et fabrique des composants horlogers.
Le 11 mars 1920 Marie et Constant décident de travailler ensemble. Ils achètent une maison appelée « Maison Neukomm » à Charquemont au 21 rue de l’église, à Ernest Binétruy, fabricant d’horlogerie et à sa femme Maria Munnier. A l’origine Ernest l’a fait construire après avoir acheté le terrain auprès de la ville de Charquemont.
Ils y emploient une vingtaine de personnes et fabriquent des balanciers spiraux. Un balancier spiral est une pièce d’horlogerie en laiton qui oscille en faisant des aller-retours et c’est cela qui régule le temps dans une montre.
Les années 1920 et la suite de la fabrique
Disparition de Constant Fallet
Le 4 mars 1925 marque un tournant dans la vie de famille et dans la vie de l’entreprise Fallet. C’est le décès de Constant Fallet. Il est inhumé au cimetière de Charquemont.
Trois mois plus tard est organisé un Conseil de famille sous la présidence du Juge de Paix de Maîche. Il est décidé que Robert Tschaarr, représentant de commerce demeurant à Neu-Allschwill (canton de Bâle, Suisse) soit subrogé tuteur des trois enfants, Constant, Fernand et André Fallet. Bien que Marie leur mère reste leur « tutrice naturelle et légale ».
Le choix d’un tuteur pour les enfants sert en général à préserver leurs intérêts dans une succession. Ce tuteur Robert Tschaarr est d’ailleurs représenté par Joseph Graizely, négociant à Damprichard, lors de l’inventaire des biens après le décès de Constant Fallet. Cet inventaire a lieu en juillet 1925 avec Marie Fallet et Maître Louis Guibard, notaire à Damprichard, au sein de leur maison familiale (et fabrique d’horlogerie) de la rue de l’église.
Un an plus tôt en 1924, Marie perd une autre de ses sœurs, Marguerite Marie Apolline Grillot, âgée de 41 ans.
La production continue
Après ces épreuves familiales l’usine poursuit son fonctionnement avec à sa tête Marie Grillot. La dénomination sociale de l’entreprise devient « Veuve Constant Fallet« . Son frère Emile Grillot lui vient en renfort et Marie assure seule la gestion de l’entreprise. Un témoignage familial évoque d’ailleurs « une femme à poigne ».
Une nouvelle rencontre…
…Entre horlogers bien-sûr !
Entre 1925 et 1927 Marie Grillot, 33 ans, rencontre le jeune Edouard Georges Loriol, 24 ans (appelé uniquement par le prénom Georges). Georges est horloger, issu lui-même d’une famille d’horlogers originaires de Morteau et de Suisse (village des Bois, canton du Jura). Avant l’horlogerie il est tourneur sur métaux pendant son service militaire ou encore boulanger durant sa jeunesse à Morteau. Difficile de connaître l’origine de leur rencontre mais elle est certainement liée à l’horlogerie. En effet, dans le recensement de Charquemont en 1931 Georges est présenté comme horloger pour l’entreprise Veuve Constant Fallet. Dans ce recensement on y trouve les trois enfants issus du mariage entre Marie Grillot et Constant Fallet, mais aussi un quatrième enfant. Un enfant né de l’union entre Marie Grillot et son nouveau compagnon Georges Loriol.
Naissance d’un nouvel enfant
Marie et Georges ne se marient pas mais un enfant né de cette union. Il voit le jour le 10 octobre 1927 à Charquemont et se nomme Georges Marie Marc Loriol (appelé lui aussi plus couramment Georges Loriol). D’ailleurs pour distinguer Georges (père) et Georges (fils) le jeune Georges est appelé familièrement et affectueusement « Jojo ». Figure emblématique de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) des années 1970 à 2010 et Officier de l’ordre national de la Légion d’Honneur.
Vie de famille
Pendant que l’horlogerie poursuit son chemin au 21 rue de l’église à Charquemont la vie de famille suit son cours. Le frère de Marie, Emile Athalain Grillot se marie en secondes noces avec Marie Eugénie Juliette Petitjean originaire de Pont-de-Roide (Doubs), le 3 février 1928. En 1934 c’est la naissance du premier petit fils de Marie, fils de l’aîné Constant Fallet (année de son mariage également) suivi d’une petit fille en 1936.
D’autres petits enfants naissent des quatre enfants de Marie (Constant, Fernand, André et Georges) mais elle ne pourra assister à leur naissance. Marie décède des suites d’une maladie des poumons le 6 juin 1937 à l’âge de 42 ans. Elle est inhumée les jours suivants avec son premier mari Constant Fallet dans le cimetière de Charquemont.
L’horlogerie Fallet à la fin des année 30
Suite au décès de Marie, la maison, le fond de commerce et les outils d’horlogerie sont vendus aux enchères. Son fils Fernand Fallet reprend la production de balanciers en 1939 mais dans un autre lieu.
Cela dure quelques mois seulement puisque Fernand part travailler à l’hôpital militaire de Montbéliard en décembre 1939 dans le cadre de la campagne contre l’Allemagne. Il est ensuite fait prisonnier durant toute la durée de la Seconde guerre mondiale. D’abord au Lomont (Doubs) à partir du 20 juin 1940. Puis dans le stalag I-A (province de Prusse-Orientale) jusqu’au 14 juin 1945.
A son retour en Franche-Comté il s’installe au 3 Place de l’Hôtel de Ville à Charquemont pour poursuivre la production horlogère. Il y retrouve son beau-père Georges Loriol qui travaille dans l’atelier d’en face, au 15 grande rue pour les établissements Boss (fabrique de bracelets montres originaire de Paris).
Seuls Fernand Fallet et Georges Loriol (père) gardent une activité horlogère tout au long de leur vie. Les deux autres enfants Fallet (Constant et André) s’installent dans le Pays de Montbéliard et exercent d’autres activités en usine ou dans le commerce. Quant au quatrième enfant, Georges Loriol (fils), il réalise une brillante carrière dans l’Armée française puis dans le secteur bancaire.
Pour aller plus loin
Je partage ici les sources qui ont permis la réalisation de cet article et quelques conseils pour les amateurs de généalogie.
- État civil des mairies de Charquemont et Morteau ;
- Registres notariaux, Archives départementales du Doubs. Les registres notariaux sont une mine d’or si vous souhaitez en savoir plus sur vos ancêtres. Ils permettent d’apporter des informations concrètes et humaines. Ici ils m’ont servi pour connaître la vie de l’entreprise des deux époux mais aussi connaître l’origine de leur demeure. Ils peuvent aussi servir à faire l’historique d’une maison, retrouver des liens familiaux ou en apprendre davantage sur leur univers (métiers, entourage social ou patrimoine, par exemple) ;
- L’inventaire du patrimoine horloger à Charquemont par la Région Bourgogne-Franche-Comté et réalisé par Laurent Poupard. Un véritable travail de fond réalisé par la région, essentiel pour le devoir de mémoire. Si vous avez des ancêtres horlogers en Franche-Comté ou si vous êtes simplement curieux, allez-y ça vaut le détour ;
- Témoignages oraux : Jean Bessot, Claude Voinay et Jacques Donzé, horlogers de Charquemont et Rolande Schlup, originaire de Charquemont et fille de Edouard Georges Loriol (d’une seconde union). Je vous invite à aller à la rencontre de ceux qui ont connu vos ancêtres ! Des rencontres passionnantes qui permettent de bénéficier d’histoires de vie et de détails que seules ces personnes connaissent. Pensez à prendre papier et stylo pour tout noter le jour J.
Une réponse sur « Marie et Constant Fallet : une saga horlogère à Charquemont »
[…] dont Edouard Georges Loriol qui travaillera lui aussi sur le Plateau de Maîche à Charquemont pour l’usine Veuve Constant Fallet. Cela laisse supposer que les deux frères Joseph et Emile pouvaient facilement se côtoyer dans le […]